Guillaume Vincent a écrit Rendez-vous gare de l’Est à partir d’entretiens qu’il a menés avec une personne souffrant de troubles bipolaires. Le texte retranscrit le flot ininterrompu de sa parole, donnant à entendre ce qu’est la vie d’une jeune femme d’aujourd’hui prise dans les tourments de la maladie.
« Pour La nuit tombe…, j’ai travaillé comme un scénariste, pour Rendez-vous gare de l’Est, j’ai joué au documentariste.
J’avais décidé d’enregistrer une jeune femme souffrant de maniaco-dépression. Au départ, le sujet qui m’intéressait ce n’était pas tant elle que sa maladie. Mais au fur et à mesure de nos « rendez-vous », en retranscrivant méticuleusement ses mots je me suis rendu compte que le sujet c’était bien elle et non sa maladie. L’orientation de nos conversations est alors devenue plus large, il ne s’agissait plus seulement de médicaments, d’hôpitaux… nous parlions de quotidien, d’amour, de travail, bien sûr la maladie n’était jamais loin mais elle apparaissait comme en arrière-plan. Il ne s’agissait plus de dresser le portrait d’une malade mais le portrait d’une femme vivant avec une maladie.
En commençant ce projet, je n’avais aucune idée du temps que dureraient nos entretiens. Nos rendez-vous se sont au final espacés sur une période de six mois, nous nous voyions de manière quasi hebdomadaire, puis il y eut une pause due à un premier internement à Sainte Anne. Pendant ses six mois, elle a donc connu un internement, puis elle est passée d’une phase disons stable à une phase maniaque puis à une phase dépressive. Nous avons mis un terme à nos entretiens lorsqu’elle fût de nouveau internée.
« J’ai aussi de l’Abilify, je trouve que le mot est poétique. Abilify, ça fait papillon. J’en prends une grosse dose et en fait c’est un médicament, moi je trouve que ça fait papillon fye, fly… et en fait c’est un médicament qui t’empêche de faire des interprétations et… parce que t’as tendance quand t’es pas bien à te dire, putain ton pull, là y a du rouge, du bleu ça forme un as de pique ou alors un oiseau à l’envers et ça veut dire que… et ça t’empêche de faire ça. »
Après chaque entretien, je retranscrivais ce qu’elle avait dit, en essayant de recopier méticuleusement ses mots, c’est-à-dire sans évacuer les défauts (redondance, lapsus, balbutiements…) dus au langage parlé.
J’ai accumulé des centaines de pages que j’ai ensuite coupées, agencées pour donner forme à un texte où elle seule avait la parole. J’ai ôté volontairement toute référence aux dates et j’ai essayé aussi de gommer les coupes qu’on pouvait sentir d’un rendez-vous à l’autre. Je voulais avoir un flot de parole ininterrompu, où l’on apprend au détour d’un détail, sans qu’on nous l’ait dit, que du temps a passé.
Je voulais que ce monologue retranscrive le mouvement même de sa maladie.
Teaser
L’origine
J’ai découvert il y a quelques années Paroles prisonnières de Raymond Depardon. Dans cet ouvrage où sont mêlés textes et photos, il retranscrit des bribes de paroles prononcées par des accusés devant un juge. On ne sait rien d’eux mais ces extraits composés parfois d’une seule phrase font basculer le lecteur dans un imaginaire très fort où l’essentiel du drame est livré brut, sans explication, sans point de vue a priori. Ces « paroles prisonnières » sont pour la plupart issues de personnes défavorisées, évoluant dans des milieux précaires ; ces situations sont souvent sordides mais parfois elles ne sont pas dénuées d’un certain humour. Un peu à l’image des « personnages » que l’on croise dans ses films documentaires (que ce soit dans les urgences psychiatriques ou les accusés de la Neuvième chambre…).
Lorsque j’étais intervenant pour le Théâtre de Gennevilliers, j’avais décidé de travailler sur Paroles prisonnières avec une classe d’élèves de première d’un lycée d’Asnières. Je voulais travailler à partir de ce texte de Raymond Depardon et non à partir de ses films parce que, justement, on ne voyait pas les modèles et que c’était à chacun à inventer, avec son imaginaire, son corps, sa voix, la manière de restituer cette parole. Vite, avec les élèves, nous nous sommes aperçus que ces paroles nécessitaient un autre code de jeu, une autre manière d’aborder le langage. Paradoxalement ils devaient être très présents, mais ils devaient aussi se mettre en retrait par rapport aux personnes dont ils restituaient la parole. Ils devaient ne pas les trahir, ils devaient être quasiment « comme une fenêtre ouverte » sur ces personnes dont on savait si peu de choses. Une évidence : c’est qu’ils n’avaient le droit ni aux mensonges, ni à une fausse sincérité ; c’était un exercice difficile, une question de dosage, d’apparition et de disparition.
Je pense que les films de Depardon et cet exercice fait avec les élèves de cette classe ne sont pas étrangers au texte de Rendez-vous gare de l’Est et à son projet de mise en scène.
C’est aussi le désir que j’avais de travailler avec l’actrice Émilie Incerti Formentini sur une matière aussi singulière qui m’a poussé à passer de l’écriture à la scène. Je pensais qu’elle était la personne idéale pour pouvoir transmettre cette parole à l’endroit qui me paraissait le plus juste, cet endroit justement que j’avais cherché avec les élèves. Elle arrive à jouer avec des ressorts tout à fait intimes sans pour autant qu’il y ait de pathos ou de sentimentalisme.
En commençant le travail, nous n’avons jamais cherché à imiter ou à incarner, nous avons cherché la place, la distance juste. Nous étions très loin de l’incarnation quasi simiesque des acteurs de biopics… Je ne lui ai d’ailleurs jamais fait écouter les enregistrements de nos entretiens, et je n’ai non plus jamais cherché à ce qu’elle rencontre la personne qui avait donné matière à Rendez-vous gare de l’Est. Ce fût un travail de direction d’acteur très particulier et qui s’est fait vraiment à deux. Moi connaissant, si je puis dire, la vérité, et elle l’inventant, la recréant.
La mise en scène
Après avoir fait des spectacles où les acteurs étaient souvent dans une mise en abîme constante entre eux et leurs personnages, où les décors et le spectaculaire avaient une place fondamentale, j’ai eu envie, avec Rendez-vous gare de l’Est, d’aller presque à l’inverse de mes précédents spectacles. Je voulais oser le dépouillement presque total. J’ai eu envie de travailler « en ascète » avec une chaise, une comédienne, rien d’autre.
Au départ je voulais travailler sur une bande-son très chiadée, j’y ai renoncé au bout du troisième jour de répétition, idem pour la lumière.
Plus c’était simple mieux c’était.
« Ces rendez-vous gare de l’Est, je crois que ça va me manquer. Mais… Du coup je me lève tôt le mardi, j’ai envie de venir, puis je fais des trucs après. J’aime bien..»
Je ne sais pas si l’aspect documentaire du texte a dicté ce choix, en tout cas c’est celui que j’ai fait.
Je voulais que le spectateur n’entende rien d’autre que la parole et ne voie rien d’autre que la comédienne. »
Guillaume Vincent
Équipe
Mise en scène et texte Guillaume Vincent
Avec Emilie Incerti Formentini
Dramaturgie Marion Stoufflet
Son Géraldine Foucault
Lumières Niko Joubert
Production
Cie MidiMinuit, coréalisation Théâtre des Bouffes du Nord – CICT et La Comédie de Reims – Centre dramatique national, avec le soutien de La Colline – théâtre national, la Cie MidiMinuit est soutenue par le ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Île-de-France, création à la Comédie de Reims – Centre dramatique national en novembre 2012
Texte publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs en octobre 2015
Tournée
Tournée 2018-2019
Les 8 et 9 janvier 2019 – Scène Nationale d’Albi
Les 26 et 27 février 2019 – la Halle aux Grains – Scène Nationale de Blois
Tournée 2017 – 2018
Le jeudi 5 octobre 2017 – Théâtre du Garde-Chasse – Les Lilas
Le samedi 14 octobre 2017 – Théâtre national de Bretagne – Rennes
Les 21 et 22 novembre 2017 – Scène Nationale 61 – Flers
Le 4 et 5 avril 2018 – Théâtre Sorano – Toulouse
Tournée 2016 – 2017
Le 18 octobre 2016 – La Lanterne à Rambouillet
Les 8 – 9 – 10 novembre 2016 – Sortie Ouest à Béziers
Le 15 novembre 2016 – Scène Thélème à Paris
Le 5 janvier 2017 – Quais ici ou ailleurs à Cognac
Les 28 et 29 janvier 2017 – Festival Act’Art
Le 31 janvier 2017 – Centre culturel Le Bouillon / CDN Orléans
Les 5 et 6 avril 2017 – Institut français de Beyrouth au Liban
Tournée 2015 – 2016
Du 8 au 26 septembre 2015 – Théâtre Denise Pelletier – Montréal
Les 15 et 16 octobre 2015 – Théâtre La Mouche – Saint Génis Laval
Les 21 et 22 novembre 2015 – La Ferme du Buisson – Noisiel
Le 28 novembre 2015 – La Grange Dimière – Fresnes
Le 11 décembre 2015 – Le Son du Fresnel – Beaucouzé
Le 12 janvier 2016 – Théâtre du Familistère – Guise
Du 14 au 24 janvier 2016 – Théâtre du Nord – Lille
Du 26 au 29 janvier 2016 – TAP – Poitiers
Du 2 au 4 février 2016 – Sortie Ouest – Béziers
Du 9 au 13 février 2016 – Théâtre de la Croix Rousse – Lyon
Du 23 au 25 février 2016 – Théâtre de Lorient
Le 28 février 2016 – Saison Culturelle – Vitré
Du 2 au 4 mars 2016 – Théâtre des Salins – Martigues
Les 8 mars et 26 mars 2016 – Théâtre de Brétigny
Les 10 et 11 mars 2016 – Festival Arts et déchirure – Rouen
Les 22 et 23 mars 2016 – Théâtre de Saint Nazaire
Le 24 mars 2016 – Le Canal – Reudon
Du 18 avril au 4 mai 2016 – Théâtre National de Strasbourg
Les 10 et 11 mai 2016 – Théâtre de Quimper
Du 31 mai au 26 juin 2016 – Théâtre du Rond-Point
Tournée 2014 – 2015
Le 29 septembre 2014 – Festival Viva la Vida – Théâtre de l’Usine – Eragny-sur-Oise
Du 30 septembre au 11 octobre 2014 – CDN de Besançon – Franche-Comté
Du 2 au 4 décembre 2014 – Espaces Pluriels – Scène conventionnée – Pau
Le 16 décembre 2014 – Maison des Arts et Loisirs – Laon
Le 30 janvier 2015 – Saison culturelle 2014-2015 – Bayeux
Du 3 au 6 février 2015 – Le Quartz – Scène nationale de Brest
Le 10 février 2015 – Médiathèque Romain Rolland – Mairie de Romainville
Le 13 février 2015 – Théâtre de Chelles – Scène conventionnée
Le 15 avril 2015 – Espace Diamant – Théâtre municipal d’Ajaccio
Du 28 au 30 mai 2015 – Théâtre national de Nice
Tournée 2013 – 2014
Le 22 septembre 2013 – Princeton – USA
Les 10 et 11 décembre 2013 – Le mail scène culturelle de Soissons
Les 13 et 14 décembre 2013 – Théâtre de poche – Hédé
Le 11 février 2013 – Théâtre – Antoine Vitez – Aix-en-Provence
Le 7 mars 2014 – ESAT l’Evasion – Sélestat
Du 12 au 20 mars 2014 – La Comédie de Reims-CDN
Les 1er et 2 avril 2014 – Théâtre des Bergeries – Noisy-le-sec
Les 8 et 9 avril 2014 – Biennale des écritures du réel – La Criée – Marseille
Le 11 avril 2014 – CNCDC – Châteauvallon
Du 16 au 18 avril – Festival Mythos – Rennes
Du 22 au 25 avril 2014 – Le Lieu Unique – Nantes
Du 5 au 27 juillet 2014 – La Condition des Soies – Avignon
Tournée 2012 – 2013
Du 14 au 16 novembre 2012 – La Comédie de Reims – Création
Du 10 janvier au 2 février 2013 – Théâtre des Bouffes du Nord – Paris
Presse
France Culture
Les Inrockuptibles
« Entre folie ordinaire et troublante poésie, Emilie Incerti Formentini incarne avec talent une maniacodépressive dans un one woman show qui bouscule les règles du genre. (…) Confiée à une actrice magnifique, la figure d’Emilie prend son envol devant nous, dans l’épique exercice de style se jouant dans un espace nu sur une simple chaise. Strip-tease d’une âme nous confrontant au dilemme d’avoir à choisir entre le rire et les larmes. » – Patrick Sourd – juin 2016
Télérama
« C’est fort, drôle et grave à la fois. D’une lucidité imparable avec elle-même, ses traitements, ses médicaments, en quête d’amour comme un enfant à jamais mal-aimée, l’inconnue de la gare, immobile sur sa chaise, trouble au plus profond. Surtout par la distance que sait en permanence maintenir l’actrice pour en jouer la maladie, la fragilité, la précarité. Tout n’en surgit que plus clair et plus violent. Du réel, du vrai. Mais, grâce à Emilie Incerti Formentini, juste un peu plus que du réel et du vrai. Du théâtre. » – Fabienne Pascaud – juin 2016
Express Styles
« Un petit bijou, brut et magnétique. Un instant d’une grâce inouïe que seul le théâtre peut procurer. » – Igor Hansen-Love. – juin 2016
Philosophie Magazine
« Remarquable de justesse jusque dans les hésitations, les coqs-à-l’âne et dans l’hébétude du mélancolique, la comédienne n’est pas un objet de voyeurisme pour le spectateur mais plutôt un flux tendu de pensée à vif, mêlant réalité et fiction. (…) Cette traversée du quotidien de la maladie n’est pas seulement celle de l’individu mais aussi de notre société. » – Cédric Enjalbert – avril 2016